collections du musée des beaux-arts de dijon

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Deux chiens courant devant un arbre

Carreau de pavement

Montot , à partir de 1388 / jusqu'à 1390
Auteur : Perrin le Tuillier

Terre cuite, engobe blanc appliqué après estampage, glaçure plombifère
Hauteur : 17 cm ; Largeur : 17 cm ; Epaisseur : 3 cm
Inv. 4161-4-1

Les carreaux mis au jour par Pierre Quarré en 1951-1952 à l'emplacement de l'oratoire de la chartreuse de Champmol, appartiennent à deux techniques céramiques bien distinctes. D'une part, les scènes de chasse, les entrelacs, les roses et les rosaces, les marguerites, les soleils et les genêts, que l'on retrouve de manière identique à Germolles et à Argilly, sont des carreaux bicolores, beige et brun, à glaçure plombifère transparente, décorés à l'engobe et cuits en une seule fois, selon la technique médiévale traditionnelle en usage depuis le XIIIe siècle dans les résidences de prestige. D'autre part, deux exemplaires présentés ici sont en faïence stannifère, technique d'origine abbasside importée d'Espagne et fort coûteuse, qui est encore à l'époque une nouveauté inconnue dans la région. Dans ce cas, la terre cuite dans un premier temps est ensuite revêtue d'une glaçure opacifiée à l'étain. C'est sur ce fond blanc, "à cru", et préalablement à la seconde cuisson, qu'ont été peintes en bleu de cobalt les armoiries, bandes de Bourgogne ancienne et lion de Flandre.
Les archives nous indiquent qu'un bon nombre de ces carreaux engobés, et notamment ceux que l'on dit ouvrés à chasse, sont l'oeuvre d'un tuillier local, Perrin de Longchamp, et proviennent de la tuilerie ducale de Montot, à Trouhans, près de Saint-Jean-de-Losne. En revanche, le "compte du couvent des Chartreux, par Louis Pasté" (1377-1386) nous révèle que l'auteur des carreaux de faïence, datables des années 1383-1385, est un certain "maître Jehan de Gironne", l'un des trois artisans faïenciers espagnols envoyés en France par le duc de Gérone, en 1383, à la demande du duc Jean de Berry. Il vint à Dijon auprès de Philippe le Hardi spécialement pour y faire "quarreaulx et autres ouvraiges de tieulerie pour ledit ouvraige de champmol [tant] pour les coleurs pour poindre les quarreaulx", et repartit en 1389 "sans dire à Dieu".
Si ces auteurs sont bien identifiés, il est en revanche assez délicat de déterminer avec précision le lieu de fabrication de tous ces carreaux. Dans un premier temps, on peut confirmer le rôle de la tuilerie de Montot, pour les deux types de carreau : les analyses de laboratoire montrent en effet que la pâte de certains carreaux de faïence possède une composition identique à celle des autres exemplaires bicolores décorés à l'engobe qui ornaient le sol de l'oratoire, comme sans doute aussi ceux des chapelles et de la salle du chapitre. Cela n'est guère surprenant quand on sait que Jehan de Gironne dirigea l'atelier de Montot de 1383 à 1388 en compagnie de Perrin le tuilier. Par ailleurs, d'autres fabriques ont également été mises à contribution : les résultats des analyses indiquent que plusieurs carreaux pourraient provenir de l'atelier d'Aubigny-en-Plaine, non loin de Montot, bien localisé et pour lequel les analyses de référence existent. On s'est même parfois rendu assez loin pour chercher des matériaux : ainsi, Jehan de Gironne est allé faire "plusieurs missions à Tarpigney oultre sone querir terre, pour faire quarreaulx et autres ouvraiges de tieullerie pour l'ouvraige que mondit seigneur fait faire audit Champmol". Enfin, l'un des carreaux de faïence, qui possède une composition différente, pourrait provenir de Dijon même, où Jehan de Gironne construisit en 1383 "un grant fourneaul pour lesdiz ouvraiges [...] en l'ostel du seigneur de trouhans. Cette situation correspond exactement à un schéma classique plusieurs fois observé, dans lequel un artisan étranger détenteur d'une technique nouvelle s'associe et collabore, pour un temps, avec un artisan local oeuvrant dans une structure traditionnelle, avant d'établir son propre atelier. De plus, la taille et l'importance du chantier de Champmol impliquaient la mise à contribution de tous les savoir-faire disponibles et le recours à plusieurs ateliers simultanément.
Le rapport d'un témoin visuel Louis-Bénigne Baudot, daté de 1792, rédigé peu avant la destruction de l'édifice, vient heureusement confirmer la localisation et préciser l'agencement hiérarchique de ces céramiques dans l'oratoire ducal : le sol était revêtu des carreaux engobés à dominante beige et brun-rouge où le cycle de la chasse se répétait plusieurs fois, accompagné sans doute des symboles respectifs du couple ducal, le soleil et la marguerite, alors que les carreaux de faïence bicolores, bleu et blanc, portant les armoiries des époux occupaient l'espace privilégié de la marche du maître autel. La représentation d'une scène de dédicace à Philippe le Bon vers 1448 nous donne une idée assez précise de cette disposition et de l'effet obtenu. Il est probable que cette mise en scène, où l'ordonnancement des couleurs et des symboles répond assurément à un programme iconographique bien défini, ait été conçue par Jean de Beaumetz, le responsable des travaux de décoration murale, en harmonie avec le reste de l'oratoire, où dominaient l'or et l'azur, ainsi qu'avec les vitraux. L'apport précieux de la faïence réside alors dans la possibilité d'utiliser le blanc et surtout le bleu, véritable nouveauté en céramique. On ne peut pas manquer d'évoquer à ce propos le château de Mehun-sur-Yèvre, où les pavements de faïence furent utilisés à la même époque sur une échelle tout autre et avec une ampleur sans précédent, dans une véritable symphonie en bleu et blanc qui mettait en scène les emblèmes personnels du duc Jean de Berry, frère de Philippe le Hardi.
Malgré leur rareté, ou peut-être grâce à elle, ces carreaux de faïence qui unissent symboliquement les deux époux, mis tout exprès à l'endroit le plus prestigieux et le plus intime de l'édifice, nous apparaissent fondamentaux, dans la mesure où ils dénotent une influence venue de l'Espagne musulmane, très différente de celles qui sont observées dans le cas des autres éléments de décor. Lieu insigne de la rencontre de deux techniques céramiques issues d'univers culturels différents, l'oratoire ducal de la chartreuse de Champmol préfigure avec plus de deux siècles d'avance la victoire de la faïence, céramique de l'époque moderne, sur la terre glaçurée, céramique du Moyen Age. Reste à savoir si, en Bourgogne, l'usage de cette nouveauté a été restreint à ce seul témoignage.

(Notice de Jean Rosen extraite du catalogue d'exposition L'Art à la cour de Bourgogne : Le mécénat de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur (1364-1419), Dijon : Musée des Beaux-Arts, 28 mai - 15 septembre 2004, Cleveland : The Cleveland Museum of Art, 24 octobre 2004 - 9 janvier 2005)

Au musée en 1954, suite aux fouilles effectuées à la Chartreuse de Champmol en 1952

Oeuvres en lien :

4161-1-1 Veneur avec son chien

4161-2-1 Cerf attaqué par un chien

4161-3-1 Chien courant devant un arbre

4161-4-2 Deux chiens courant devant un arbre Même motif

Bibliographie :

Exposition : © photo François Jay

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